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La télé nuit-elle aux bébés?

Selon la professeure Hélène Makdissi, les bébés de moins de 2 ans peuvent très bien se passer de télévision

Photo : Martin Blache

30 août 2007

Isabelle Huard

Des chaînes de télé destinées aux bébés et affirmant favoriser leur développement ont fait leur apparition au Canada cet été. L'une d'elles, Baby First TV, conçoit et diffuse des émissions pour une clientèle de 0 à 3 ans, 24 heures par jour. Or, ce n'est pas d'hier que la télé exerce un pouvoir de fascination auprès des bébés. Mais l'avènement de ces nouveaux canaux spécialisés soulève des questions sur les effets de l'exposition télévisuelle sur les très jeunes enfants. Pour la professeure en adaptation scolaire et sociale Hélène Makdissi, la télé n'apporte rien qui vaille aux bébés de moins de deux ans. Trop de télé peut même être nuisible, selon cette spécialiste du développement de l'enfant qui s'intéresse notamment à la formation de la pensée logicomathématique et au développement du langage. Nous l'avons rencontrée la semaine dernière.

Liaison : L'avènement de ce type de chaîne spécialisée est-il inquiétant?

Hélène Makdissi : Tout dépend de la réaction des parents. On ne doit pas s'alarmer en tant que société si on se dit : «Il y a ce produit sur le marché et ça n'influencera pas mes choix, car je vais demeurer centré sur les besoins de mon enfant.» Ce qu'il faut que les familles sachent, c'est qu'en choisissant de s'abonner à un tel canal spécialisé, elles payent pour quelque chose qui «peut-être» ne nuira pas à leur enfant.

Là où ça commence à être inquiétant, c'est au niveau de la promotion de ce type de chaîne, qui affirme favoriser le développement de l'enfant. Nous n'avons pas, à ce jour, de démonstration rigoureuse qui le prouve. La programmation proposée par ce type de canal est soit trop en avance sur le développement de l'enfant de 0 à 2 ans, qui n'a pas encore créé l'idée de représentation, soit en retard sur celui de l'enfant de 3 ans, qui peut apprécier des récits beaucoup plus complexes.

«Voir d'autres enfants jouer et socialiser à la télévision ne fera jamais de notre enfant quelqu'un d'habile socialement. C'est de faire le jeu avec l'autre qui va le nourrir», affirme la professeure Hélène Makdissi.
Photos : Martin Blache

Liaison : En quoi certains programmes télé sont-ils trop en avance pour les bébés de moins de 2 ans?

H. Makdissi : Entre 0 et 2 ans, l'enfant est amené à relever un défi phénoménal, qui est de construire sa propre représentation interne du monde. Il doit être capable de faire le lien entre un objet réel, la représentation qu'il se fait de cet objet dans sa tête et l'évocation de cet objet par un mot. Ceci constitue l'avènement de la représentation et de là naît tout le développement du langage qui suivra par la suite. De 0 à 2 ans, l'enfant commence à exprimer quelques mots qu'il s'invente et ce premier tremplin débloquera vers 2 ans. Pourquoi? Parce que justement, l'enfant a construit le fondement nécessaire pour parvenir au langage.

Comme cette représentation n'est pas encore intégrée avant l'âge de 2 ans, l'enfant a besoin que l'on soit centré sur ce qu'il veut manifester, sur la construction de sens qu'il veut partager avec l'autre. Entre 0 et 2 ans, être en contact avec son parent est exactement ce dont l'enfant a besoin pour servir son développement. Comment la télévision peut-elle répondre aux besoins de l'enfant alors que les images qu'elle présente sont abstraites? Aucune interaction n'émerge de l'initiative de l'enfant, qui est complètement passif. Un enfant de 12 mois n'a pas encore construit la représentation de la télé et de l'objet télévisuel qu'on lui présente.

Liaison : Malgré cela, certains bébés sont fascinés par la télé et les films. Certains demandent à regarder des émissions à répétition. Que faut-il en conclure?

H. Makdissi : Le besoin vient souvent des parents, car à force de leur faire consommer des émissions, les enfants en redemandent. Mais est-ce que ça sert vraiment leur développement? Si l'enfant demande vraiment d'écouter une émission de télévision, il faut y aller à faible dose. Par exemple, si l'enfant aime une émission ou un film en particulier, le parent pourrait observer les parties qu'il apprécie le plus et reproduire concrètement l'action avec lui, dans la vraie vie. Ceci pourrait stimuler l'enfant à créer des liens entre la représentation télévisuelle et le fait vécu. Pourquoi ne pas initier une promenade à l'extérieur ou un jeu lorsque c'est l'heure de l'émission afin d'établir un nouveau rituel?

À partir de 3 ans, c'est autre chose, car l'enfant a besoin de nourrir son imaginaire. Il peut le faire par l'intermédiaire d'histoires lues, de visites faites à l'extérieur et aussi, parfois, par des histoires vécues et écoutées à la télévision. On observe d'ailleurs les enfants de 3 à 5 ans écouter une émission et avoir besoin d'un grand frère, d'une grande sœur ou d'un des parents pour discuter et partager l'histoire qu'il voit.

Liaison : À partir de quand la télévision devient-elle néfaste?

H. Makdissi : On ne sait pas jusqu'à quel point la télévision peut être favorable ou néfaste en bas âge, car plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, comme le temps d'exposition, le partage ou non des moments de télévision, la discussion parent-enfant. C'est bien davantage le temps passé avec le parent qui sert l'enfant et non l'exposition passive à la télévision.

Pour qu'elle devienne néfaste, il faut que l'exposition soit vraiment abusive, disons plus d'une heure par jour, tous les jours. Qu'on se le dise : avant 2 ans, pas de télé pour bébé! Il n'en a pas besoin! La télévision ne peut pas s'ajuster à l'enfant. L'exposer à ce médium en si bas âge précède son développement, lui crée un tort. Il est difficile de mesurer un temps d'écoute minimal, mais l'idéal serait de ne pas excéder 15 à 20 minutes à la fois, de temps à autre, afin de ne pas créer d'habitude.

En mettant notre enfant devant la télévision, on lui crée un besoin, et on est bien plus centré sur les nôtres! On croit qu'en faisant les choses pour lui, on l'aidera peut-être dans son développement logicomathématique. C'est faux, et c'est là que la télévision devient nuisible, car l'enfant doit faire une démarche inductive d'apprentissage. Il doit partir de tâtonnements pour construire son monde. Le développement du langage ne demande pas une répétition abusive d'un mot. Le langage se développe de façon phénoménale pour peu qu'on soit centré sur l'enfant, sur l'expression qu'il essaie de manifester, pour qu'ensuite on l'amène tranquillement vers la convention adulte.

Liaison : Que peuvent faire les parents pour réduire le temps que passent leurs enfants devant la télévision?

H. Makdissi : Les parents pensent souvent à la télé lorsqu'ils ont besoin d'un répit. Pourquoi ne pas plutôt se tourner vers des activités simples au moment de faire les repas, en occupant l'enfant avec des jouets qu'il aime ou des objets de notre quotidien? L'une des émissions que Baby First TV diffuse, à titre d'exemple, est de montrer un mobile qui tourne à la télévision. On présente au bébé l'image d'un objet qu'il commence à peine à se représenter de façon concrète. Pourquoi ne pas plutôt prendre son enfant, le mettre dans son lit et lui faire tourner un mobile au-dessus de la tête?

Bien sûr, entre 2 et 3 ans, l'enfant aime les petites histoires, qui peuvent être racontées à la télévision, mais il vaut mieux privilégier la lecture d'un vrai livre avec son enfant, parce que les enfants aiment avant tout être en présence de leurs parents.